Colloque international « Tableau / Vision du monde : jalons d’une histoire intellectuelle »

Colloque
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Jeudi, 28 novembre, 2019 - 15:00 - Samedi, 30 novembre, 2019 - 18:00
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École des hautes études en sciences économiques de Saint-Pétersbourg

L’idée d’un monde « visible », offert à la contemplation humaine semble l’une des acquisitions de la modernité occidentale, bien qu’elle remonte à une longue tradition intellectuelle qui, depuis Aristote, a associé la connaissance à la vue. Elle est intimement liée au progrès des arts visuels et en particulier à la mise en place d’une perspective picturale encadrée par le contour d’une « fenêtre » (cf. les recherches historiques d’Hubert Damisch et Gérard Wajcman). L’effort pour faire du monde un « tableau » a pu prendre des formes diverses, de l’emploi méditatif des cartes géographiques (Baudelaire : « Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes… ») à la vogue de la « littérature panoramique », telle que Walter Benjamin l’a définie pour le XIXe siècle français, et qui commence dès le XVIIIe avec le Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier. On envisage – et même ce verbe-ci renferme déjà un sens optique ! – deux sphères où se joue la même intuition : celle des formes culturelles (littéraires, artistiques ou autres) et celle des notions abstraites ou des métaphores conceptuelles.

 

L’idée de monde visible a deux composantes intrinsèques, en rapport complexe: d’une part le monde visible, constituant tout seul un « tableau », est un monde total, maîtrisé et maniable, d’autre part sa visibilité s’achète au prix de multiplicité des « points de vue » adoptés par tel ou tel spectateur-penseur. C’est pourquoi sans doute le concept philosophique, devenu banal de nos jours, de vision du monde (Weltanschauung, mirovozzrenie) a tendance à se relativiser, à exprimer moins une perspective universaliste qu’une opinion particulière du sujet individuel ou collectif. Explorer cette tension est l’enjeu théorique de ce colloque.

 

L’aspect historique du même problème concerne une autre relativité, celle des notions et des termes qui, dans des cultures intellectuelles différentes, expriment l’intuition philosophique du monde visible. Ainsi, en Allemagne, deux termes peuvent y concourir : Weltanschauung (analysé par exemple par Karl Jaspers) et Weltbild, dont Martin Heidegger a donné une critique approfondie dans un article qui a fait date, « Die Zeit des Weltbildes ». En Russie, ce sont le mirovozzrenie, un calque de l’allemand Weltanschauung, et son synonyme mirosozertsanie (« contemplation du monde ») qui ont dominé pendant près d’un siècle, entre autres dans la vulgate marxiste ; mais depuis quelques décennies, ces notions « totalitaires » semblent reculer devant celle, plus relativiste, de kartina mira (« tableau du monde »), employée notamment en linguistique comparée. En France, le tableau du monde n’a jamais désigné une manière de penser et c’est seulement au XXe siècle et sous l’influence du marxisme, semble-t-il, que l’autre notion a été introduite: la vision du monde, théorisée d’abord par Georg Lukàcs et Lucien Goldmann. Tous ces termes, faisant partie de lexiques différents et relevant d’usages linguistiques variés, n’ont pas, bien entendu, une signification équivalente; de plus, leur sens évolue depuis deux siècles déjà, dans un processus complexe d’échange interculturel. Cette évolution du langage, avec ses variantes nationales, fera l’autre objet de la recherche collective.

 

Les langues de travail sont le russe, le français et l’anglais.

 

Le colloque aura lieu à l’École des hautes études en sciences économiques de Saint-Pétersbourg le 28 et le 30 novembre (123, nab. kanala Griboedova) et à l’Université européenne de Saint-Pétersbourg le 29 novembre (6/1, rue Gagarinskaïa).

 

Programme du colloque en russe (PDF)

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